Ma mère - Lata Roussinoff à 75 ans
INLASSABLEMENT TOUT ETAIT SI PROCHE
(triptyque)
A ma mère
“The earth that made the rose,
She also is thy mother….”
("La terre qui a fait la rose,
Elle est aussi votre mère ...")
Mary Elizabeth Coleridge
I.
Enfant, il craignait le soir et les noyaux des mots!
Venait en secret dans la chambre de ses parents
Pour respirer l’odeur taciturne de la cire
Et caresser le silence des tapis et des ombres.
Il aimait se souvenir des jours où les abeilles
Adoraient vibrer autour du ruisseau
De sa voix chaude !
Sourire alors lui était si facile, si délectable !
Ailé, oiseau aux plumes de pollen,
S’éloignait de lui le temps !
Et lentement, imperceptiblement
Son corps devenait
De la même substance
Que la lueur des lucioles du lac !
II.
Il savait! Une barque l’attendait
Cachée dans les joncs !
Et le fleuve à traverser,
Poème profond, était le plus à craindre
A cause des méandres perfides de ses phrases !
Alors, pris de panique, il balbutiait :
« Nocher, attends un peu, je te supplie !
La lune, habile passeur d’étoiles,
N’est pas encore levée !
Brise, amie, sœur du sang,
Cajole un peu les rames assoiffées de chant !
N’est-il pas de ma race Orphée,
Se peut-il qu’il ne m’accorde
Cette intime trabersée ! »
III.
Il savait ! Il n’était point
De rives permises
Que celle qu’il voulait abandonner !
Partir lui était impossible
Sans le consentement de la douleur.
Et il répétait, comme un verset
Appris avant sa naissance :
« Trembler
Devant l’abîme
Des mots, devant leur surface !
Pourquoi ?
Ne me suffit-il pas de dire pour être vrai ! »
Et il s’endormait dans le long couloir,
Attendant le retour des siens !
Lui qui n’ignorait point qu’il lui était ordonné
D’ouvrir, sans se retourner, son âme
Au souffle des lettres
Pour être parabole, espérance,
Foi,
Vérité !
Athanase Vantchev de Thracy
Glose :
Mary Elizabeth Coleridge (1861-1907): poète et romancière britannique. Elle pratiqua aussi le journalisme, écrivit des essais et enseigna. Mary Elizabeth Coleridge publia des poèmes sous le pseudonyme Anodos, nom qu’elle emprunta à l’écrivain et poète écossais George MacDonald (1824-1905). Elle subit l’influence du poète et théologien anglais Richard Watson Dixon (1833-1900) et de la poétesse Christina Rosetti (1830-1894). Mary Elizabeth Coleridge était une parente éloignée du grand poète anglais Samuel Taylor Coleridge (1772-1834).