Chakwâ al-dahr
(complainte contre la fuite du temps)
Le tendre Zuhayr chanta avec douleur
La prompte fuite du temps et la beauté des femmes,
Comme lui je veux écrire des livres pleins de flamme
Et exalter les fastes des cœurs tremblant d’ardeur.
Comme lui je veux errer sur les chemins brûlants
De l’Arabie heureuse, rêvant à la grandeur
De l’âme immaculée des bédouins seigneurs
Qui vont vers l’infini en ignorant le temps.
J’aurais bien voulu être le haut poète
De l’une des Mu’allaqât qui glorifie la grâce
De toi, ô langue arabe qui tendrement embrasse
La lumière des jours, le vol des gypaètes
Et les splendeurs exquises de l’univers bercé
Par la clarté des astres et l’immortalité !
Athanase Vantchev de Thracy
Glose :
Zuhayr Ibn Abî Sulmâ (en arabe : زهير بن أبي سُلمَى ربيعة بن رياح المزني - أو المزيني), ou Zouhaïr Ibn Abi Soulma, est un poète arabe de l'époque préislamique, et l'auteur d'une des Mu’allaqât. Il serait né vers 530 ap. J.-C. dans le territoire de la confédération tribale de Ghatafân, et serait mort presque centenaire vers 627.
Nous ne disposons que de peu d’éléments sur la vie de Zuhayr. Comme pour beaucoup des poètes préislamiques (qui ont vécu avant l’islam), les détails de sa vie sont inextricablement mêlés à la légende. Pour son exceptionnelle longévité, il est souvent compté au rang des mu’ammarûn, les macrobites célèbres. Zuhayr occupe une place essentielle dans la littérature arabe classique. Il est cité dans tous les ouvrages classiques de critique littéraire, en plus des nombreux commentaires dont les Mu’allaqât ont fait l'objet. Ibn Sallâm al-Jumahî range Zuhayr dans sa première classe des poètes préislamiques, après Imrou’l Qays et al-Nâbigha al-Dhubyânî, et avant Al-A’châ.
Macrobite (adj.) : qui a une longue vie.
Mu’allaqât :
Les Mu'allaqāt (arabe : المعلقات), les Suspendues ou les Pendentifs, sont un ensemble de qasida (poèmes) préislamiques jugées exemplaires par les poètes et les critiques arabes médiévaux. Rassemblées à la même époque que les Asma’iyyât (anthologie poétique) et les Mufaddaliyyaât (la grande anthologie poétique établie par Al Mufaddal ad-Dabbi), les Mu'allaqât constituent la plus célèbre des anthologies de la poésie jâhilite. Elles occupent une place centrale dans la littérature arabe, où elles représentent les pièces les plus excellentes d'une poésie qui fournit à l'époque classique ses genres majeurs, ses valeurs et ses thèmes paradigmatiques.
Le terme Mu'allaqât signifie littéralement « Suspendues ». L'interprétation la plus ancienne et la plus populaire, apparue au ixe siècle, veut que ces odes aient été jugées si excellentes qu'elles auraient été brodées en lettres d'or puis suspendues à la Ka’ba de La Mecque. Plus vraisemblablement, le terme renverrait aux colliers ou aux « parures » : la comparaison de la bonne poésie à un collier fait de perles « bien enfilées » (ou à un tissu léger) est en effet un lieu commun dans la littérature arabe de la Jâhiliyya (désigne dans le Coran la période préislamique caractérisée par la présence à La Mecque d'un panthéon d'idole).
Collectée d'abord vers le milieu du viiie siècle par Hammad Al-Râwiya, le nombre de Mu'allaqât varie en fonction des critiques et des anthologues : certains en reconnaissent six (Asmaʿî), d'autres vont jusqu'à dix, mais la plupart des critiques anciens s'accordent sur le nombre de sept (Abû Ubayda et Ibn Qutayba) sans toutefois se mettre d'accord sur les poètes de la liste. Cinq noms sont communs à toutes les listes : Imrou’l Qays, Tarafa, Zuhayr, Amr Ibn Kulthûm et Labid. À ces cinq poètes sont ajoutés, selon les compilations, Al-Harith Ibn Hilliza, ‘AntaraIbn Chaddâd, Al-‘Achâ, al-Nâbigha al-Dhubyânî ou Al-Abraç.
Gypaète (n.m.) – Gypaetus – (n.m.) : oiseau. Cette espèce de vautour est présente en Asie centrale, en Afrique et au Moyen-Orient.
ENGLISH :
Chakwâ al-dahr
(Complaint against the flight of time)
The tender poet Zuhayr sang with sorrow
of the swift flight of time and the beauty of women,
like him I want to write books full of fire
and extol the splendours of hearts trembling with passion.
Like him I want to wander the burning roads
of happy Arabia, dreaming of the great
immaculate souls of the Bedouin lords
as they travel towards infinity ignoring time.
How I wish I had been the noble poet,
author of an ode in the Mu’allaqât which glorifies
graceful Arabic, that tongue which tenderly embraces
the light of days, the flight of vultures
and the exquisite glories of the universe cradled
by bright stars and immortality!
Notes:
1. Zuhayr bin Abî Sulmâ: pre-Islamic poet (c530a.d-627a.d.)
2. Mu’allaqât: collection of pre-Islamic poems